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I. INTRODUCTION & DÉFINITION

La confusion mentale, ou « delirium » (nosologie anglo-saxonne), est une psychose aiguë souvent d’origine organique (90%). C’est un syndrome fréquent, souvent méconnu et sous-diagnostiqué, et « la plus médicale des affections psychiatriques ». C’est une urgence médicale et psychiatrique, tant diagnostique que thérapeutique. Le pronostic dépend de la précocité du diagnostic et du traitement étiologique.

I.1. Épidémiologie

PopulationPrévalence
Patients hospitalisés en chirurgie générale10-15 %
Patients hospitalisés en médecine15-20 %
Patients hospitalisés en soins intensifs30 %
Postopératoire (fracture hanche)40-50 %

I.2. Définition

Syndrome neurocomportemental aigu exprimant une dysfonction globale aiguë, transitoire des activités supérieures. Il associe des désordres concomitants :

  • Aptitudes cognitives (troubles de la perception allant jusqu’à l’onirisme).
  • État de conscience.
  • Comportement psychomoteur.
  • Affects.

Le début est brutal (quelques heures/jours), l’évolution est brève, fluctuante, réversible (si cause identifiée et éliminée). DSM-5 définit le delirium comme « Une perturbation de la conscience et une modification du comportement cognitif qui s’installent en un temps court et tendent à avoir une évolution fluctuante au cours de la journée».

Anomalies de l’humeur, de la perception et du comportement sont des symptômes psychiatriques fréquents, souvent associés à des symptômes neurologiques.

I.3. Facteurs prédisposants

  • Vulnérabilité inhérente aux âges extrêmes : Sujet âgé, enfant.
  • Fragilité cérébrale : AVC, démence, tumeur, alcoolisme chronique.
  • Antécédents : Delirium.
  • Maladies générales : Diabète, cancer.
  • Handicap sensoriel.

II. ÉTUDE CLINIQUE

La confusion mentale est un syndrome caractérisé par une triade :

  • Altération cognitive (intellectuelle).
  • Onirisme.
  • Syndrome physique.

Le début est généralement brutal, mais peut être progressif, parfois précédé d’une phase prodromique.

II.1. Symptômes prodromiques

Installation rapide (quelques jours) marquée par :

  • Anxiété.
  • Somnolence diurne.
  • Insomnie.
  • Hallucinations transitoires (surtout chez l’alcoolique).
  • Cauchemars.
  • Agitation.
  • Modifications de l’humeur et du caractère (constatées par l’entourage).

II.2. Période d’état

Le patient est plongé dans un trouble général et profond de la conscience : altération de la synthèse mentale (obnubilation, désorientation, amnésie) et expérience onirique.

II.2.1. Présentation du patient

  • Faciès : Hébété, figé, mimique inadaptée. Regard hagard, flou, lointain (« ils ont des yeux et ils ne voient pas »). Malade absent, retranché de la réalité.
  • Comportement psychomoteur :
    • Forme stuporeuse : Apathique, somnolent, répondant péniblement/lentement/maladroitement. Sans initiative, besoin assistance (manger, se laver).
    • Forme agitée : Agitation stérile, bruyant, en perpétuel état d’alerte. Onirisme présent. Incapable de distinguer images internes/environnement.
    • État confuso-onirique : Adhésion complète au tableau cauchemardesque. Peut tenter de s’échapper, se défenestrer, gestes de défense dangereux. Onirisme non obligatoire au diagnostic (source d’erreur diagnostique avec autres troubles psychotiques).

II.2.2. Signes psychiques

  • Altération conscience et attention : Symptôme-clé. Diminution capacité à focaliser/soutenir/déplacer l’attention. Plus fiable dans formes atténuées et chez sujet âgé. Fluctue dans la journée.
    • Perplexité anxieuse/interrogative : Très évocatrice. Le malade fait un effort, pose des questions pour se repérer ou reconnaître autrui.
    • Éveil anormal :
      • Hyperactivité : Vigilance accrue. Forme hyperactive (delirium sevrage/toxique). Associée à signes végétatifs (rougeur, pâleur, sueurs, tachycardie, mydriase, nausées, vomissements, hyperthermie).
      • Hypoactivité : Vigilance diminuée. Patients parfois dits déprimés, catatoniques, déments.
      • Forme mixte : Mélange symptômes hypo- et hyperactivité.
  • Cognition : Diminution attention, réduction résultats cognitifs (hypoactivité), réduction capacité à résoudre problèmes, altération mémoire.
    • Mémoire : Atteinte fixation (enregistrer), évocation (retenir/remémorer). Rappel souvenirs anciens peut être préservé. Parfois ecmnésie (hallucination mémoire), illusion déjà vu/vécu.
  • Humeur : Colère, peur injustifiée habituels. Parfois apathie, tristesse, euphorie. Passages rapides d’une émotion à l’autre.
  • Langage : Discours décousu, inadapté, incohérent. Difficulté à comprendre.
  • Orientation : Temporelle habituellement perdue (même formes légères). Spatiale et reconnaissance personnes (famille) détériorées en cas sévères. Identification erronée personnes étrangères (fausses reconnaissances). Un confus perd rarement capacité à s’identifier.
  • Perception : Incapacité généralisée discrimination sensorielle, absence d’intégration perceptions actuelles/expériences passées.
    • Délire onirique (ONEIROS = Rêve) : État de « Rêve éveillé immédiatement vécu et agi ».
    • Mécanismes du délire : Principalement hallucinatoires (visuelles++, auditives, olfactives, cénesthésiques). Simples (tâche lumineuse) ou complexes (défilés d’images, scènes). Illusions visuelles/auditives fréquentes. Onirisme oriente vers étiologie toxique.
    • Thèmes du délire : Contenu désagréable, terrifiant (visages monstrueux, flamme). Zoopsies (animaux effrayants) classiques. Thèmes professionnels fréquents.
    • Réaction au délire : Sujet acteur, vit et agit intensément son cauchemar (mimer activité, se battre, agresser imaginaires, se défenestrer). Risque médico-légal.
  • Perturbations cycle veille-sommeil : Somnolence diurne, sommeil court et fragmenté. Parfois inversion cycle. Symptômes s’exacerbent à l’heure du coucher (« aggravation vespérale et nocturne »). Cauchemars/rêves se poursuivent pendant éveil (hallucinations).

II.2.3. Syndrome physique

Constant mais variable (terrain, étiologie). Nécessite examen général, neurologique, biologique complet.

  • Syndrome somatique général : Altération état général, signes déshydratation/dénutrition. Fièvre/hypothermie, oligurie, langue saburrale, anorexie, constipation, sueurs, pouls rapide, pâleur/bouffées vasomotrices.
  • Syndrome neurologique : Dysphasie, tremblement, incoordination, incontinence urinaire, céphalées. Signes neurologiques focaux possibles.
  • Syndrome biologique : Signes déshydratation (hyperazotémie, hyperprotidémie, hématocrite augmentée), troubles hydro-électrolytiques (anomalies glycémiques, acidocétose).

III. EXAMEN SOMATIQUE ET COMPLÉMENTAIRES

III.1. Examen Somatique

  • Évaluer état général : fièvre, déshydratation.
  • Signes neurologiques : céphalées, ROT vifs, hypertonie, convulsions, signes neurologiques focaux.

III.2. Examens Complémentaires

Selon orientation diagnostique :

  • Biologie : Chimie sanguine (ionogramme, examens hépatiques/rénaux), NFS, VS, gazométrie, bilan thyroïdien, calcémie, sérologie syphilitique, ECBU, hémocultures.
  • Imagerie/Autres : Radiographie pulmonaire, recherche substances psychoactives (sang/urines), ponction lombaire, TDM, IRM.
  • Systématique : Glycémie capillaire, ECG.
  • En cas de focalisation : TDM cérébrale systématique.
  • Absence étiologie évidente : EEG (recherche état de mal non convulsif).

IV. DIAGNOSTIC POSITIF

Basé sur interrogatoire (début aigu), examen clinique, examens complémentaires. Trois éléments importants : fluctuation troubles, aggravation vespérale, perplexité anxieuse.

IV.1. Critères diagnostiques DSM-5 du delirium dû à une affection médicale générale

  • A. Perturbation conscience (baisse prise conscience environnement) avec diminution capacité à mobiliser, focaliser, soutenir ou déplacer attention.
  • B. Modification fonctionnement cognitif (déficit mémoire, désorientation, perturbation langage) ou perturbation perceptions, non mieux expliquée par démence préexistante.
  • C. Perturbation s’installe en temps court (quelques heures/jours) et tend à avoir évolution fluctuante.
  • D. Mise en évidence d’une perturbation due aux conséquences physiologiques directes d’une affection médicale générale.

V. FORMES CLINIQUES

V.1. Formes symptomatiques

FormeCaractéristiques
StuporeuseConfusion mentale profonde. Passivité, apathie, mutisme. Onirisme discret ou absent. En faveur d’origine lésionnelle cérébrale.
AgitéesOnirisme et agitation au premier plan. Origine toxique +++.
Mineures dégradéesGrande fluctuation, longs moments pleine vigilance. Pas anomalies apparentes, pas délire. Symptômes discrets (déficit attentionnel, orientation, mémoire). Peut passer inaperçue.
Suraiguës malignesExceptionnelles. Profondeur syndrome confusionnel, syndrome somatique marqué. Évolution spontanément mortelle (encéphalopathie).
HystériformePlus fréquente au cours du post-partum.

V.2. Formes selon l’âge

  • Enfant : Plus vulnérable (infections, fièvre). Manifestations trompeuses, diagnostic difficile. Fréquence de l’onirisme.
  • Sujet âgé : Fréquente (vulnérabilité vieillissement cérébral, tares). Désorientation temporo-spatiale et troubles conscience au premier plan. Onirisme généralement absent.

VI. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

TroubleDistinctions
DémenceSyndrome démentiel (atteinte cognitive pure) favorise émergence confusionnels. Épisode confusionnel peut révéler démence ignorée.
Bouffées délirantes aiguës (BDA)Quand onirisme prédomine. Note confusionnelle légère dans la BDA.
Amnésies-
Aphasie sensorielle (Wernicke)Souvent confondue avec delirium. Écoute attentive révèle abondance paraphasies. Vigilance normale. Troubles compréhension/expression langage parlé/écrit.
Forme hypoactive : Mélancolie stuporeuseInhibition psychomotrice peut évoquer stupeur confusionnelle. Mais dans mélancolie, pas de désorientation temporo-spatiale. EEG montre ralentissement général activité dans confusion.
Forme hypoactive : CatatonieSyndrome psychomoteur allant de la catalepsie.
Forme hyperactive : Schizophrénie productiveHallucinations/idées délirantes schizophrènes constantes, moins fluctuantes, mieux organisées que delirium. Pas de modifications conscience/orientation chez schizophrènes.
Forme hyperactive : Manie-

VII. DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE

Repose sur interrogatoire entourage (circonstances apparition, antécédents), examen clinique complet, et examens complémentaires orientés.

VII.1. Causes organiques

  • Infectieuses : Toutes maladies infectieuses (fièvre, action germe). Virales (rougeole, grippe, oreillons), bactériennes (fièvre typhoïde, RAA, Brucellose, Tuberculose), parasitaires (Paludisme, Toxoplasmose, Rickettsiose). Chez sujet âgé : pneumonies, infections urinaires, méningites, encéphalites, septicémies.
  • Iatrogènes : Médicaments anticholinergiques (sujet âgé fragilisé). Psychotropes, antiparkinsoniens, antiarythmiques, anticonvulsivants, corticoïdes fortes doses, AINS, antihistaminiques (anti-H2), hypoglycémiants oraux, antibiotiques, antalgiques, cardiovasculaires (digitaliques, β-), théophylline.
  • Cardiovasculaires : Syndrome coronaire aigu, trouble rythme/conduction, embolie pulmonaire, état de choc.
  • Neurologiques (non infectieuses) : AVC, hématome sous-dural, hémorragie méningée, épilepsie (per/postcritique), traumatisme crânien, encéphalopathie carentielle, tumeur cérébrale.
  • Métaboliques et endocriniennes : Diabète (hypoglycémie, acidocétose, hyperosmolarité), dysthyroïdies, hypoglycémie, hyponatrémie, hypernatrémie, déshydratation, hypercalcémie, hypoxie (anémie, IR, IC), IR aiguë, encéphalopathie hépatique, tous troubles hydroélectrolytiques.
  • Toxiques :
    • Alcool : Intoxication aiguë (ivresse) ou chronique (encéphalopathies éthyliques par carence vitaminique, sevrage brutal -> delirium tremens). Manifestations somatiques (fièvre, hypertension -> collapsus, tremblements, agitation), onirisme (thèmes professionnels/zoopsies) évocateurs delirium tremens. Rechercher infection intercurrente, arrêt éthylique brutal, intervention chirurgicale.
    • Autres toxiques : Drogues psychostimulantes/psychodysleptiques, intoxications accidentelles (mercure, zinc, CO, insecticides).
  • Autres causes : Douleurs aiguës, rétention aiguë urine, état sub-occlusif (fécalome), fièvre isolée, traumatismes ostéo-articulaires/parties molles, hospitalisation/entrée institution, facteurs environnementaux (contention physique, privation/surcharge sensorielle, privation sommeil), affections hématologiques/cancers, collagénoses, électrocution, coup de chaleur, irradiation thérapeutique.

VII.2. Causes psychiatriques

Rares, après élimination autres causes :

  • Psychose puerpérale (état confuso-onirique).
  • Schizophrénie (accès confuso-oniriques ou confuso-délirants peuvent inaugurer ou émailler).
  • Confusion mentale primitive (psychogène).
  • Confusion mentale post émotionnelle et réactionnelle (stress intense, traumatismes psychiques).
  • Forme confusionnelle d’un trouble de l’humeur (manie confuse).

VIII. ÉVOLUTION ET COMPLICATIONS

Dépend de l’étiologie, fragilité terrain, durée accès, précocité traitement. Survenue delirium = mauvais pronostic (moyen et long termes). Mortalité à 3 mois : 23-33%. Mortalité à 1 an : jusqu’à 50% (gravité affection médicale associée).

VIII.1. Évolution

  • Favorable (la plus fréquente) : Guérison rapide, progressive, parallélisme signes physiques/psychiques. Rétrocession symptômes 3-7j (10-12j) sans séquelles. Amnésie totale épisode critique (lacunaire après résolution). Évolution prolongée mais favorable chez sujet âgé. Amélioration concomitante état mental/physique = grande valeur pronostique.
  • Chronicité : Si confusion persiste malgré équilibre physique retrouvé. Reliquats oniriques peuvent s’organiser en délire chronique postonirique (allure schizophrénique ou paranoïaque).
  • Mortelle : Exceptionnelle (grâce au traitement). Peut survenir par épuisement, désordres métaboliques sévères (gravité étiologie).

VIII.2. Complications

  • Liées à l’étiologie.
  • Traumatiques (fuite, chutes).
  • Raptus anxieux, fugue, errance.
  • Passage à l’acte suicidaire.
  • Actes médico-légaux (auto/hétéro-agressifs, secondaires à l’onirisme).
  • Survenue délire aigu (rare, agitation intense, fièvre élevée, déshydratation, hyperazotémie).

IX. CONDUITE À TENIR

Un état confusionnel impose hospitalisation.

IX.1. Mesures générales

  • Traiter la cause sous-jacente.
  • Soins de support : nutrition, hydratation, équilibre électrolytique. Assurer bonne diurèse.
  • Médicaments adaptés aux besoins. Traiter douleur si nécessaire.
  • Environnement sensoriel adéquat : limiter éclairage et bruit.

IX.2. Gestion agitation (si nécessaire)

  • Diazépam peut aggraver état confusionnel.
  • Si agitation persistante et sédation nécessaire : Halopéridol à faible dose (≤ 7 jours).
    • PO : 0,5 à 1 mg 2 fois/jour.
    • IM : 0,5 à 1 mg, renouveler si agitation après 30-60 min. Doses supplémentaires toutes les 4h, max 5 mg/jour.

IX.3. Confusion liée sevrage alcool (délirium tremens)

  • Hospitalisation en soins intensifs.
  • Diazépam IV : 10 à 20 mg 4 à 6 fois/jour (surveillance étroite, matériel ventilation). Objectif : légère sédation sans dépression respiratoire. Doses/durée adaptées à évolution clinique.
  • Hydratation IV : 2 à 4 litres NaCl 0,9% / 24h.
  • Thiamine IM ou IV lente : 100 mg 3 fois/jour pendant 3 à 5 jours.
  • Surveiller fonctions vitales et glycémie.

X. CONCLUSION

La confusion mentale est fréquente en médecine, chirurgie, psychiatrie. Urgence diagnostique et thérapeutique. Diagnostic aisé, mais recherche minutieuse affection organique sous-jacente essentielle (conditionne pronostic). Traitement précoce et bien conduit permet d’éviter complications.