I. TROUBLES DÉPRESSIFS
I.1. Introduction - Définition
L’humeur (thymie) est la disposition affective de base. La dépression comprend :
- Humeur dépressive (vision pessimiste du monde et de soi).
- Ralentissement psychomoteur (diminution forces pulsionnelles, processus intellectuels, activité motrice).
- Perturbation des grandes fonctions de l’organisme.
I.2. Épidémiologie
- Fréquents : Prévalence sur la vie entière ~10% chez l’homme, ~20% chez la femme.
I.3. Clinique (Syndrome Dépressif Typique)
Associe :
- Dépression de l’humeur.
- Ralentissement psychomoteur.
- Perturbation des grandes fonctions de l’organisme.
I.3.1. Humeur Dépressive
- Vécu : Pessimisme, insatisfaction, anhédonie, dévalorisation, autodépréciation, idées d’indignité, culpabilité, incurabilité. Tristesse parfois douloureuse (douleur morale).
- Comportement : Expression faciale/ton de voix découragés, abattement, tristesse. Mimique douloureuse. Gestualité exprimant tristesse/inutilité. Discours triste, vie absurde/insupportable.
- Variations : Alternance avec sentiments d’indifférence, monotonie, émoussement affectif. Incapacité à ressentir plaisir (anhédonie) ou émotions (joie, amour, colère, peur).
I.3.2. Inhibition Psychomotrice
Perte de l’élan vital, ralentissement psychomoteur, fatigue intense.
- Ralentissement Moteur et Psychique : Démarche/gestes lents/rares, perte mobilité faciale, monotonie expression, diminution débit verbal/tonalité voix, réponses brèves, pauses, soupirs. Psychiquement : altération fonction intellectuelle, ralentissement créativité, idéation, efficience intellectuelle. Formes graves : immobile, silencieux, plaintes/gémissements.
- Fatigue Dépressive : De simple sensation de se fatiguer plus facilement à épuisement complet (>80% déprimés). Asthénie associée à aboulie (difficulté initiation) et baisse d’énergie.
- Symptômes Associés :
- Anxiété : Sentiment pénible d’attente d’un danger imminent/imprécis. Agitation motrice masquant ralentissement. Troubles somatiques (tension interne, fébrilité, nervosité, tension musculaire -> raptus anxieux).
- Trouble du Caractère : Irritabilité, hostilité, impulsivité, violence, intolérance (prodromes).
I.3.3. Symptômes Somatiques
Presque constants, universels. Dominés par :
- Digestifs : Anorexie, constipation, amaigrissement. Plus rarement boulimie, prise de poids, nausées, diarrhée.
I.3.4. Symptomatologie Dépressive et Désir de Mort
- Désir de mort : conséquence du drame vécu. Peut entraîner tentative de suicide (TS) (raptus suicidaire ou prémédité). Peut être verbalisé/non agi, ou non verbalisé (TS imprévisible, surveillance nécessaire).
- Équivalents Suicidaires : Refus alimentaire, refus traitement, automutilations, accidents circulation répétés.
- Évaluation risque suicidaire : Délicate, non toujours corrélée à sévérité globale dépression.
I.4. Formes Cliniques
I.4.1. Formes Symptomatiques
| Forme | Caractéristiques |
|---|---|
| Anxieuse | Syndrome anxieux fait partie du tableau (pas central). Agitation anxieuse masquant ralentissement psychomoteur. |
| Délirante | Thèmes : culpabilité, ruine, indignité, damnation, néantisation (avec/sans délire hypocondriaque, syndrome de Cotard). Risque suicidaire maximal. Idées délirantes grandioses (suicide altruiste). |
| Stuporeuse | Accompagne dépressions délirantes, masquant activité idéique (incapacité, incurabilité, douleur morale intense). Mimique figée, oméga mélancolique. |
| Confusionnelle | Rare (sauf âgés : aspect confus démentiel). |
| Atypiques | Dépression légère/moyenne avec prise de poids et hypersomnie. |
I.4.2. Formes Selon l’Âge
- Enfant : Tristesse durable, pleurs futiles/sans raison, ennui, infériorité, diminution plaisir activités, colères/irritabilité, inhibition intellectuelle (baisse rendement scolaire, troubles concentration, mémoire défaillante).
- Adolescent : Fréquente, sémiologie proche de l’adulte.
- Sujet Âgé : Très fréquente, souvent méconnue (aspect pseudo-démentiel).
I.4.3. Dépressions Masquées
Symptômes psychiques au second plan, prédominance somatique : céphalées, fatigue générale/musculaire, paresthésies, douleurs abdominales. Prédominance matinale, caractère diffus/non systématisé, troubles du sommeil fréquents.
I.4.4. Équivalents Dépressifs
Épisodes pathologiques sans éléments dépressifs directs, mais rattachés à dépression par évolution cyclique, rupture comportementale et réponse aux antidépresseurs (alcoolisme, toxicomanie, conduites à risque, troubles du caractère). Fréquents à l’adolescence.
I.4.5. Formes Nosographiques
- Endogènes (vitales, autonomes, psychotiques) : Grande intensité symptomatique (humeur dépressive, ralentissement, signes neurovégétatifs, idées de suicide), recrudescence matinale des symptômes.
- Exogènes (psychogènes, réactionnelles, névrotiques) : Moindre incapacité sociale, moindre intensité symptômes, facteurs précipitants, personnalité inadaptée. Homogénéité contestée.
I.5. Diagnostic Positif
Syndrome dépressif associe trois types de symptômes, rupture avec vie antérieure :
- Inhibition psychomotrice :
- Intelligence : Bradypsychie (lenteur idéation, difficulté attention/mémoire, aboulie).
- Affectivité : Désintérêt global, incapacité douloureuse à éprouver sentiments (anesthésie affective).
- Motricité : Lenteur gestes, pauvreté mimique (faciès immobile), réduction activité (apragmatisme, incurie, stupeur), fatigue persistante ne cédant pas au repos.
- Hyperthymie douloureuse :
- Tristesse, découragement, auto-dévalorisation, culpabilité, accusation (douleur morale).
- Idées d’indignité peuvent être délirantes. Libido diminuée.
- Troubles neurovégétatifs : hypotension, vertiges, lipothymies.
Diagnostic d’un 1er accès difficile si signes psychiques discrets, inhibition psychomotrice faible/absente, ou autres symptômes au premier plan. Symptômes récents imposent recherche systématique d’éléments dépressifs.
I.6. Diagnostics Différentiels
| Différentiel | Caractéristiques |
|---|---|
| Dysphorie états anxieux | Altération humeur modérée, grande variabilité (vs dépression). Association anxiété/dépression fréquente. |
| Athymormie (Schizophrénie) | Altération humeur (incapacité à éprouver plaisir, pas vraie tristesse). Épisodes dépressifs fréquents (diagnostic difficile : expression affectes pauvre, ralentissement difficile à distinguer du déficit). |
| Pseudo démence (Sujet âgé) | Symptomatologie dépressive trompeuse (importance signes cognitifs donnant tableau démentiel). Association dépression/démence fréquente. 1er épisode dépressif après 50 ans = suspecter début détérioration (mélancolie d’involution). |
I.7. Évolution
- Non traitée : Guérison spontanée (accès mélancolique 4-12 mois), risque évolution chronique.
- Traitée : Levée symptômes 70% cas en 3-9 semaines. 50% patients signes résiduels après un an.
I.8. Prise en Charge
I.8.1. Hospitalisation
Imposée par :
- Critères sémiologiques : Idées suicidaires, souffrance morale, idées délirantes, anxiété paroxystique, importance ralentissement psychomoteur, altération état somatique (gravité).
- Critères anamnestiques : Antécédents suicidaires, échec traitement antidépresseur ambulatoire.
I.8.2. Chimiothérapie
3 phases :
- Traitement d’attaque : ~8 semaines (selon sévérité). Parenteral, posologie progressive. Relais per os aux premières semaines d’amélioration.
- Traitement d’entretien : ~6 mois.
- Traitement prophylactique : Plusieurs années.
Choix antidépresseur : selon tableaux cliniques, contre-indications, doses efficaces. Types : IMAO, tricycliques, inhibiteurs recapture sérotonine. Association anxiolytiques/sédatifs. Résistance après 1 mois -> nouvelle molécule.
I.8.3. Sismothérapie (ECT)
Efficace dans 80% cas. Indications : dépressions majeures (anxieuses/délirantes), stuporeuses (refus alimentaire), risque suicidaire permanent, inefficacité/contre-indication chimiothérapie.
I.8.4. Psychothérapie
Indispensable, complémentaire à chimiothérapie. Soutien psychologique pour compréhension maladie/traitement.
I.9. Conclusion
Dépressions fréquentes, prise en charge bien conduite diminue facteurs résistance et améliore pronostic. Maladie traitable : soutien psychologique, thérapies, médicaments essentiels à la guérison. Sensibilisation et réduction stigmatisation primordiales pour encourager la recherche d’aide.
II. TROUBLES BIPOLAIRES
II.1. Introduction - Définition
Trouble de l’humeur avec épisodes de dépression (tristesse, perte intérêts, asthénie) alternant avec épisodes de manie (élévation anormale humeur, excitation, agitation psychomotrice) ou d’hypomanie (symptômes moins sévères/prolongés). Correspond à la psychose maniaco-dépressive.
II.2. Classification DSM-5
- Type I : Épisodes de manie (habituellement précédés/suivis de dépression).
- Type II : Épisodes de dépression et au moins un épisode d’hypomanie (pas de manie).
- Trouble Cyclothymique : Symptômes d’hypomanie et dépressifs (sans critères épisode caractérisé) sur deux ans.
- Trouble Bipolaire Autre Spécifié : Symptômes dépressifs/hypomaniaques ne remplissant pas critères précédents.
II.3. Épidémiologie
- 1% des > 15 ans ont présenté symptômes de trouble bipolaire.
- Sex-ratio Type I : 1:1.
- Début moyen : ~18 ans (Type I), ~20 ans (Type II).
II.4. Diagnostic Positif (Selon DSM-5)
II.4.1. Trouble Bipolaire Type I
Alternance épisodes maniaques et dépressifs caractérisés (majeurs).
A. Critères Épisode Maniaque
- Période (≥ 1 semaine, presque tous les jours) d’humeur expansive/irritable anormale et persistante, avec augmentation anormale activité.
- Au moins 3 symptômes (intensité significative, changement notable) :
- Augmentation estime de soi/idées de grandeur.
- Réduction besoin de sommeil.
- Plus grande communicabilité/désir de parler.
- Fuite des idées.
- Distractibilité.
- Augmentation activité orientée vers but ou agitation psychomotrice.
- Engagement excessif dans activités à conséquences dommageables (achats inconsidérés, conduites sexuelles inconséquentes, investissements commerciaux déraisonnables).
- Perturbation humeur grave (altération fonctionnement, hospitalisation, caractéristiques psychotiques).
- Non imputable à substance/autre affection médicale.
B. Critères Épisode Dépressif Caractérisé
- Au moins 5 symptômes (durée ≥ 2 semaines) ; au moins un de (1) humeur dépressive ou (2) perte intérêt/plaisir :
- Humeur dépressive (triste, vide, sans espoir) toute la journée, presque tous les jours.
- Diminution marquée intérêt/plaisir pour toutes/presque toutes activités, toute la journée, presque tous les jours.
- Perte/gain poids significatif (modification poids corporel > 5% en 1 mois), diminution/augmentation appétit presque tous les jours.
- Insomnie/hypersomnie presque tous les jours.
- Agitation/ralentissement psychomoteur presque tous les jours.
- Fatigue/perte d’énergie presque tous les jours.
- Sentiment dévalorisation/culpabilité excessive/inappropriée.
- Diminution aptitude penser/se concentrer ou indécision presque tous les jours.
- Pensées de mort récurrentes, idées suicidaires récurrentes (sans plan précis), tentative suicide ou plan précis.
- Symptômes induisent détresse clinique significative ou altération fonctionnement.
- Non imputable à substance/autre affection médicale.
II.4.2. Trouble Bipolaire Type II
Alternance épisodes de dépression et au moins un épisode d’hypomanie (pas de manie).
A. Critères Épisode Hypomaniaque
- Période (≥ 4 jours consécutifs, presque tous les jours) d’humeur élevée/expansive/irritable anormale et persistante, avec augmentation anormale/persistante activité/niveau énergie.
- Au moins 3 symptômes (4 si humeur irritable) (intensité significative, changement notable) :
- Augmentation estime de soi/idées de grandeur.
- Réduction besoin de sommeil.
- Plus grande communicabilité/désir de parler.
- Fuite des idées/sensations que pensées défilent.
- Distractibilité.
- Augmentation activité orientée vers but ou agitation psychomotrice.
- Engagement excessif dans activités à potentiel élevé de conséquences dommageables.
- Accompagné de modifications indiscutables du fonctionnement (différent hors période symptomatique).
- Perturbation humeur et modification fonctionnement manifestées pour les autres.
- Sévérité non suffisante pour altération marquée fonctionnement/hospitalisation. Si caractéristiques psychotiques, épisode est maniaque.
- Non imputable à substance/autre affection médicale.
II.5. Formes Cliniques (Spécifications)
- Avec détresse anxieuse.
- Avec caractéristiques mixtes.
- Avec cycles rapides (≥ 4 épisodes thymiques/an).
- Avec caractéristiques mélancoliques.
- Avec caractéristiques atypiques (réactivité humeur, augmentation appétit significative).
- Avec caractéristiques psychotiques (congruentes ou non à l’humeur).
- Avec catatonie.
- Avec début lors du péri-partum.
- Avec caractère saisonnier.
II.6. Évolution
- Maladie chronique avec périodes de rémission et de rechutes.
- 58% des patients bipolaires atteignent la rémission.
II.7. Prise en Charge
II.7.1. Indication d’Hospitalisation à la Phase Aiguë
- Épisode maniaque ou mixte.
- Épisode dépressif sévère.
- Épisode dépressif avec caractéristiques psychotiques.
- Risque de passage à l’acte suicidaire.
- Majoration récente des conduites addictives.
- État somatique préoccupant.
- Résistance ou inefficacité du traitement.
II.7.2. Choix d’une Molécule en Phase Aiguë
Dépend de :
- Caractéristiques cliniques de l’épisode en cours.
- Type de trouble bipolaire (I ou II).
- Histoire thymique du patient (prédominance maniaque, hypomaniaque, mixte, dépressive).
- Présence de cycles rapides (≥ 4 épisodes thymiques/an).
II.7.3. Traitement des Épisodes Maniaques, Hypomaniaques et Mixtes
Molécules recommandées : Lithium (Li), Anticonvulsivants (carbamazépine, Valproate), Antipsychotiques de Seconde Génération (AP2G : amisulpiride, aripiprazol, clozapine, Olanzapine, Risperidone), Antipsychotiques de Première Génération (AP1G : halopéridol), Électroconvulsivothérapie (ECT). Arrêt de tout traitement AD si symptômes maniaques.
II.7.4. Traitement des Épisodes Dépressifs dans le Cadre d’un Trouble Bipolaire
Molécules ou thérapeutiques : Antidépresseurs (ISRS, Tricycliques, IMAO), Lithium, AC (Lamotrigine, Valproate, Valpromide), AP2G (Aripiprazol, olanzapine), ECT.
II.7.5. Thérapeutique au Long Cours
Traitement prophylactique recommandé :
- Systématiquement dès le 1er épisode maniaque.
- Dès que le diagnostic de TB II est posé.
- Après 2 épisodes hypomaniaques.
- Âge de début précoce.
II.8. Conclusion
Trouble bipolaire : pathologie psychiatrique complexe, fluctuations extrêmes humeur (maniaques à dépressifs). Diagnostic : évaluation clinique rigoureuse, observation symptômes prolongée. Prise en charge multidisciplinaire : traitements pharmacologiques (stabilisateurs humeur), psychothérapeutiques. Essentiel de sensibiliser patients/entourage aux signes précurseurs et à l’adhésion au traitement pour prévenir rechutes.